L’ivresse du corps et de l’être dans “La dernière bande” de Samuel Beckett
Résumé Dans le théâtre de Samuel Beckett, la représentation du personnage sur scène devient de plus en plus problématique. On assiste à une certaine désincarnation de l’individu, alors que le corps représente la source de sa perception et de sa prise d’information sur le monde. L’humain titube, vacille, avance, recule, se ravise. Les changements comportementaux, l’humeur varient sensiblement ou brutalement, de quoi interpeller sur l’intégrité mentale humaine.
Mots clefs Beckett – théâtre – corps – perception – désincarnation
Abstract In the theatre of Samuel Beckett, the representation of the character on stage becomes more and more problematic. There is a certain disembodiment of the individual, although the body is the source of his perception and his collection of information about the world. Human staggers and wobbles, forward and backward, to change his mind right after. Behavior changes, moods vary significantly or brutally, raising questions about human mental integrity.
Key words Beckett – theater – body – perception – disembodiment
L’être, enserré dans une spirale concentrationnaire, happé par un milieu, des circonstances, des éléments matériels et immatériels, est capable de se figer à un moment ou à un autre, de raidir le cou et de s’agiter frénétiquement, comme s’il s’agissait de briser tout carcan. Ou à l’inverse, l’individu peut chercher à s’enivrer, à sombrer dans une forme de mollesse physique et morale, une dérive de ses sens. Le corps se prête à de nombreuses contorsions, interprétations réelles ou métaphoriques.
Le corps humain, au fil des siècles, a donné lieu à diverses formulations théoriques, savantes ou plus ou moins réductrices. Inventoriée, disséquée, l’enveloppe corporelle a pu être considérée dans sa globalité et rattachée à un organe significatif, symbolique, tel que le foie, le cœur, la tête ou la bouche. Dans le domaine littéraire, philosophique, médical, la mélancolie associée à la bile ou au cœur fait basculer l’humain dans un monde incertain. Le corps est secoué intérieurement et les répercussions extérieures peuvent s’enchaîner. Pour Descartes, par exemple, le mélancolique est celui dont le cerveau est « offusqué par les noires vapeurs de la bile »[1]. Un organe peut être pointé du doigt ou incriminé par rapport à des maux physiques.
La tête, quant à elle, ne garantit pas forcément à l’être humain une certaine stabilité ou quiétude. Nous pouvons citer en l’occurrence Samuel Beckett et notamment sa pièce Dis Joe, écrite pour la télévision, dans laquelle il met en scène une voix de femme « basse, nette, lointaine » qui évoque le périmètre crânien et s’interroge : « Tu sais cet enfer de quatre sous que tu appelles ta tête… C’est là où tu m’entends, non ? »[2] Le corps humain fragmenté ou vu comme tel suscite des interrogations. Il ne semble plus répondre aux exigences de l’homme. Le cœur s’effrite et la tête, elle, s’apparente à un lieu dérisoire, un caveau où affluent des voix lancinantes, dérangeantes qu’il importe d’étouffer.
Que nous nous référions à des philosophes, des écrivains ou des cliniciens, diverses analyses ont été menées et ont permis de mettre en lumière des vérités sur le corps humain. On y a vu, tantôt une prodigieuse mécanique, tantôt les soubassements à de multiples données médicales, psychosociales, culturelles, voire littéraires. Le corps, dans sa pluralité et sa diversité, est mis en scène et alimente l’imagination la plus féconde. Dans le domaine romanesque ou dramaturgique, des êtres fantoches nous sont présentés, des « êtres aux entrailles de papier »[3], mais ces derniers tendent à se reconnecter au réel, à s’humaniser le plus possible, à se muer en des individus sensibles, physiques dotés d’une substance et d’une énergie nouvelles. La chirurgie moderne, en disséquant en profondeur le corps humain, le rend plus formel, plus accessible. La pensée médicale, artistique s’élabore à partir de ses diverses acceptions. Le corps est montré dans toute sa matérialité, mais paradoxalement, il peut échapper à toute perception tangible. Le corps se veut dès lors, matériel et immatériel. C’est, de toute évidence, un objet d’étude complexe en soi et Merleau-Ponty ne manque pas de souligner que « l’ambiguïté de l’être au monde se traduit par celle du corps » ou que « la notion du schéma corporel est ambiguë comme toutes celles qui apparaissent aux tournants de la science »[4]. Le corps se livre à nous, nous donne à voir des éléments inconnus de nous-mêmes. Il permet toutes les expériences, toutes les découvertes. « Qu’il s’agisse du corps d’autrui ou de mon propre corps, je n’ai pas d’autre moyen de connaître le corps humain que de le vivre… Je suis donc mon corps… ». Dans L’Œil et L’Esprit, Merleau-Ponty pose le problème de la vision suspendue au mouvement : « … le mouvement est la suite naturelle et la maturation d’une vision ». « Visible et mobile, mon corps est au nombre des choses … mais puisqu’il voit et se meut, il tient les choses en cercle autour de soi, elles sont une annexe et un prolongement de lui-même, elles sont incrustées dans sa chair… »[5]. Le corps est là en soi et permet à l’humain de se situer dans l’espace-temps.
Lidia Cotea définit le corps comme « cette ancre concrète de notre présence au monde »[6]. L’humain, en évoluant dans une sphère environnementale et temporelle précise, donne sens au monde. Ces éléments ne sont pas dissociables pour comprendre l’immanence et le vécu de l’homme. La représentation de l’homme s’effectue par rapport au monde. Il se positionne et se juge par rapport à sa sphère, à la nature et s’accomplit dans le regard qu’il porte sur elles. Le corps se positionne et se construit en même temps que son espace. Au niveau de la littérature, le corps mis sur la sellette, se révèle être l’espace de multiples tensions, des pulsions de vie ou de mort théorisées par Freud dans sa première et seconde topique. Sa vision dualiste axée sur le psychique, le somatique engendrerait « des excitations issues de l’intérieur du corps »[7] et transférées à l’appareil psychique pour aboutir ensuite à des manifestations visibles extérieurement. Le parcours de l’individu, ses expériences traumatisantes, les étapes oniriques ou affabulatrices de son développement créeraient des compulsions de répétition qui le feraient basculer dans une sorte de fantasmagorie.
Puisque nous évoquons des êtres fantomatiques, nous nous appuierons notamment sur le théâtre de Samuel Beckett où la représentation du personnage sur scène devient de plus en plus problématique. On assiste à une certaine désincarnation de l’individu, alors que le corps représente justement le point d’ancrage de notre expérience universelle, le réceptacle des sensations, la source de notre perception et de notre prise d’information sur le monde. L’humain titube, vacille, avance, recule ou se ravise, les changements comportementaux ou l’humeur varient sensiblement ou brutalement. Peut-on, dans ce contexte, se fier à l’homme, croire en lui et en des capacités inaltérables ? Le corps semble secoué de part en part par des forces inhérentes et constantes.
On découvre dans La Dernière bande un vieil homme, silencieux, assis à son bureau. Il demeure pensif, puis il semble s’éveiller en frappant du poing sur la table. Le corps s’anime et s’affiche comme l’espace propice à toutes les pulsions et à toutes les satisfactions. Mais dès lors, nous pouvons nous interroger. Jusqu’où aller dans cette jouissance du corps et de l’être ? Comment l’auteur parvient-il à écrire et à dire le corps, à insuffler forme et vie à son personnage ?
Krapp, le personnage central et unique occupe l’espace scénique. Il se lève, marche difficilement, ouvre un tiroir, sort une banane, l’épluche et la mange goulûment, non sans déplaisir. Il s’active toujours, s’éloigne et revient avec une grosse boîte d’archives qui contient de nombreuses bandes sonores classées et numérotées. Le vieillard furète, trouve une bande et l’installe sur l’appareil. La voix qui se fait entendre est la sienne, quelques années plus tôt. Il a enregistré ses souvenirs, ses pensées et s’en imprègne maintenant. Le corps réagit lentement comme une mécanique rouillée, puis s’exécute un peu plus rapidement, mû par des sentiments profonds, enivrants, voire déroutants.
L’esprit grisé par l’écoute des bandes sonores, la voix s’effrite, se perd et l’on en vient même à se demander s’il s’agit d’une écriture pathologique, empreinte elle aussi d’ivresse, d’une plume encline à s’affranchir des normes, à savoir la nécessité et la vraisemblance des faits. La forme dramatique, en renversant les valeurs, en sabotant les certitudes et en semant le trouble, pervertit les normes imposées par la poétique aristotélicienne et par la doctrine classique qui s’en réclamait. La pensée beckettienne engendre un théâtre inédit, un objet à lire par le biais des signes ou le truchement de la voix.
L’expression de la corporéité
Le démantèlement de l’être
Dans La Dernière bande de Samuel Beckett, le rideau se lève au début de la pièce sur « un vieil homme avachi », assis à « une petite table dont les deux tiroirs s’ouvrent du côté de la salle », qui se tient « face à la salle, c’est-à-dire du côté opposé aux tiroirs »[8]. La pièce nous amène à considérer le corps de ce personnage, sa représentation réelle ou symbolique, sa globalité ou son morcellement. Les notions de vieillesse ou de décomposition nous propulsent dans la sphère de la dislocation physique. L’humain est touché par toutes sortes de maux, notamment la décrépitude. Le corps perd de sa consistance, de sa fermeté. Il est décrépit et ne nous apparaît que de manière « micellaire ». Krapp est vu dans une position réductrice : « assis » premièrement et qui plus est à « une petite table ». Dans cette pièce, la dégradation accentuée est produite par le grand âge du personnage central, son déclin physique, la détérioration de ses forces morales et également celles du temps, puisque la scène se déroule « un soir, tard, d’ici quelque temps ».
De toute évidence, le corps est mis sur la sellette, « à l’avant-scène, au centre » et s’offre à une lecture plurielle. On en perçoit une image grotesque comme au travers d’un prisme déformant. Les éléments semblent inversés. On assiste quasiment à une alliance des contraires (la vie et la mort, la décomposition et la renaissance). Samuel Beckett nous propose une longue didascalie, étirée sur une double page pour caractériser Krapp :
Pantalon étroit, trop court, d’un noir pisseux. Gilet sans manches d’un noir pisseux, quatre vastes poches. Lourde montre d’argent avec chaîne. Chemise blanche crasseuse, déboutonnée au cou, sans col. Surprenante paire de bottines, d’un blanc sale, du 48 au moins, très étroites et pointues.
Visage blanc. Nez violacé. Cheveux gris en désordre. Mal rasé.
Très myope (mais sans lunettes). Dur d’oreille.
Voix fêlée très particulière.
Démarche laborieuse. (p. 7-8)
Dès le début, le protagoniste se dessine en marge de ses semblables. Ses vêtements étriqués l’inscrivent à la fois dans la tradition du rire populaire ou du tragique, des notions antithétiques. Bakhtine considérait le grotesque « comme une mise en forme » et cette élaboration peut s’avérer réductrice ou déformante. Les éléments vestimentaires esquissés s’apparentent à la caricature, à la parodie. Ils ne sont pas évoqués globalement, mais sont dissociés comme s’il s’agissait d’inscrire l’individu dans une double réalité, moderne et anachronique. Le pantalon et le gilet noirs, la chemise, les bottines blanches, la montre d’argent attestent l’existence d’un certain style. Néanmoins, les adjectifs qualificatifs employés ternissent le tableau et nous amènent à considérer la faille. Les termes s’enchaînent : « étroit (deux emplois), trop court, noir pisseux (employé à deux reprises), vastes, lourde, crasseuse, déboutonnée, surprenante, sale, blanc, violacé, gris, mal rasé, très myope, fêlée, très particulière, laborieuse » (p. 7-8) et soulignent le burlesque du personnage, son déséquilibre. L’être décrit se fragmente. Les vêtements l’enserrent : « pantalon étroit, trop court », « paire de bottines […] très étroites », ou le dilatent, le perdent, « gilet sans manches », « quatre vastes poches », « lourde montre », « chemise […] déboutonnée au cou, sans col ». Etriquée ou pas, la tenue vestimentaire fragilise l’être. Celui-ci s’apparente à une fantasmagorie, à un mort. Le corps semble vidé de toutes substances vivifiantes, car le visage se veut « blanc », le nez « violacé » et les cheveux « gris en désordre ». Le blanc du linge est prolongé par la blancheur du visage, le violet de la narine. L’enveloppe corporelle évoque à un cadavre en cours de décomposition. Aucun aspect ne se soustrait à ce saisissant parallèle. L’humain est « avachi », dépourvu de vie, d’élégance. Il est démuni. La préposition « sans » souligne cette idée de privation, d’absence, d’exclusion : « sans manches », « sans col », « sans lunettes ». On pourrait y ajouter d’autres expressions privatives, tels que « sans propreté », « sans grâce », « sans appareil acoustique », « sans voix », « sans mobilité totale ».
Les didascalies suivantes se veulent éloquentes quant au vide de l’être. Elles dessinent une boucle au niveau des actes du personnage. Les actions s’enchaînent ou s’amenuisent :
Krapp demeure un moment immobile, pousse un grand soupir, regarde sa montre, farfouille dans ses poches, en sort une enveloppe, la remet, farfouille de nouveau, sort un petit trousseau de clefs, l’élève à hauteur des yeux, choisit une clef, se lève et va vers le devant de la table. […] Il se retourne, s’avance jusqu’au bord de la scène, s’arrête […] demeure immobile, regardant dans le vide devant lui. (p. 9)
Son immobilisme, son mutisme, ses soupirs, ses gestes sériels, sa cécité, puis ses allées et venues « au bord de la scène, dans la lumière, c’est-à-dire à raison de quatre ou cinq pas au plus de chaque côté » (p. 10), « dans l’obscurité » (p. 11), « dix secondes » ; « quinze secondes » ; « dans la lumière » nous entraînent dans une mouvance, une indétermination, des séquences où s’amalgament des phases de rupture et d’inachèvement. L’être exubérant opte pour des actes combinatoires et interchangeables. Il les exécute de manière fragmentée :
farfouille dans ses poches, en sort une enveloppe, la remet, farfouille de nouveau […] fait jouer la serrure du premier tiroir […] en sort une bobine, l’examine de tout près, la remet, referme le tiroir à clef, fait jouer la serrure du second tiroir […], referme le tiroir à clef, remet les clefs dans sa poche. (p. 8-9)
Le vieil homme multiplie les enchaînements d’actions fortuites, les moments d’immobilité et d’activité. Les verbes d’action se combinent, s’interchangent, se répètent : « se met à aller et venir », « remet », « farfouille de nouveau », « referme », « se retourne », « reprend son va-et-vient ». Il choisit une clef dans « un petit trousseau de clefs », ouvre un premier, un second tiroir, mange une première, puis une deuxième « grosse banane » ; il reste figé devant une « fosse », regarde « dans le vide devant lui » (p. 8, 11). Il réfléchit, soupire, s’exalte, s’anime comme un automate. Sa séquence est scandée par l’adverbe « finalement » (p. 9-10). Entre la « lumière crue » (p. 8) et « l’obscurité » (p. 8, 11), la valse des clefs, des tiroirs et des bananes, Krapp semble se désagréger, se perdre dans les dédales de ses méditations, de son atavisme. Le temps s’écoule : « un moment », « dix secondes », « quinze secondes » (p. 8, 10, 11), et happe le sujet dans sa spirale concentrationnaire. Retiré « au fond de la scène dans l’obscurité », lorsqu’il « revient dans la lumière » (p. 11), il semble être pris dans un mouvement ou un compte à rebours. Il porte « un vieux registre ». En s’asseyant à la table et en y posant l’objet à proximité du « magnétophone avec microphone et de nombreuses boîtes en carton contenant des bobines de bandes impressionnées » (p. 8), Krapp risque-t-il d’ouvrir la boîte de Pandore ? Qu’est-ce qui émergera, somme toute, des profondeurs ? Le corps lutte-t-il contre le temps, l’espace et la matière ?
Les incisions de l’âme
Socrate met en exergue que « c’est en l’âme, en effet, que prend sa source tout ce qui affecte le corps et l’homme dans toutes ses parties, les biens comme les maux »[9]. Le lien entre le corps et l’âme est incontestable. Des correspondances s’établissent entre les deux. Le Charmide (ou Sur la sagesse) de Platon souligne d’ailleurs que le rapport entre les deux éléments « ne se trouve dans aucun autre dialogue ». Tout est dit, suggéré et lié. Le corps de Krapp ne se départit pas de son âme et en est même le reflet.
Le « vieux registre »[10] ramené du fond de la scène augure d’une ouverture possible pour le « vieil homme ». « L’idée » évoquée « finalement » et l’énergie déployée pour la mettre en œuvre semblent avoir été des plus lumineuses, car le personnage « revient dans la lumière » et met un terme à sa déambulation en s’asseyant à la table. Il ne se tient plus la bouche pleine « au bord de la scène » (p. 9-10). Il a adopté une autre posture : « Il pose le registre sur la table, s’essuie la bouche, s’essuie les mains à son gilet, les claque et les frotte » (p. 11).
Le personnage trouve une seconde vigueur en réagissant avec « vivacité ». Il ne « se penche » que pour regarder la peau de banane à ses pieds ; il n’est plus « penché, par-dessus le bord de la scène dans la fosse » (p. 10), mais cette fois-ci « il se penche sur le registre », « sur la table » (p. 11), « sur les bobines », « sur l’appareil » (p. 12). Il réalise d’autres tâches, adopte un ton plus enjoué : il « tourne les pages, trouve l’inscription qu’il cherche, lit ». Sa voix se fait entendre et parvient presque des profondeurs de l’être. Les didascalies cèdent le pas à la parole. Les chiffres sont scandés, les consonnes se redoublent « Boîte… trrois… bobine… ccinq ». Cette énonciation à haute voix trouve un écho favorable en l’être, génère une réaction particulière. Le lecteur ne se focalise plus sur sa « voix fêlée, très particulière » (p. 8), mais davantage sur les mots formulés, leurs résonance dans l’espace et les répercussions sur le protagoniste lui-même. Les signes verbaux, sonores et visuels s’entremêlent et sont associés à un code gestuel : Krapp « (lève la tête et regarde fixement devant lui. Avec délectation) » (p. 11). Le langage théâtral combine avec la dimension artistique et poétique, dans la mesure où l’auteur porte un regard particulier sur le monde. Il nous livre des combinaisons de signes, des vibrations, des harmonies polyphoniques, des structures répétitives si bien que le matériau scénique s’apparente à un « corps sonore » ou poétique aux multiples résonances. Le personnage de Krapp se perd lui-même dans sa rêverie. Les vocables sont imprégnés d’une charge émotive. Il répète « Bobine ! (Pause.) Bobiiine ! ». La voyelle « i » est triplée, la ponctuation s’enchaîne. Les points de suspension aboutissent aux points d’exclamation. La langue se délie comme si le cerveau parcourait et sondait le fond de l’âme. Krapp affiche alors un « (sourire heureux. Il se penche sur la table et commence à farfouiller dans les boîtes en les examinant de tout près) ». Le discours revêt une forme spécifique et fluctue entre le dit et le non-dit, le formel et l’informe. Selon une formule chère à Georges Godin, dans son ouvrage intitulé Beckett,
La forme chez Beckett vise à suggérer l’informe, à donner l’impression du désordre le plus complet ; mais qu’on analyse d’un peu plus près cette œuvre et on verra combien tout est calculé.[11]
L’idée de Krapp suggérée par la didascalie initiale : « il a une idée »[12] est ici suspendue, énigmatique. Il appartient au lecteur d’interpréter la « pause » inscrite dans le texte théâtral. Le personnage poursuit certainement sa réflexion ou jubile en lui-même étant donné qu’il affiche dans la continuité ce même « sourire heureux » (p. 10). Quoi qu’il en soit, les turpitudes du personnage, ses mouvements désordonnés, chaotiques en apparence, ses actions répétitives, l’oscillation de son regard entre le centre et le fond de la scène, les détails dissonants qui focalisent l’attention constituent un paravent. Krapp, en œuvrant fébrilement sous nos yeux au début de la pièce, en croquant le bout de son fruit, en effectuant « quatre ou cinq pas au plus de chaque côté », enchaîne tout cela en « mastiquant méditativement la banane » (p. 9). Sa vie semble être ailleurs, au plus profond de lui ou rattachée à d’autres éléments extérieurs, d’autres vérités imperceptibles à l’œil nu ou mystérieuses. L’excessive mobilité ou l’immobilisme consubstantiel du personnage que nous pourrions qualifier de grotesque ne nous renvoie-t-il pas à un art surréaliste aux associations surprenantes et inattendues ? Les amalgames, les indéterminations, la suspension délibérée du sens constituent une intrusion ou une incision dans l’âme du vieil homme. La « comicité »[13] du protagoniste n’atteste-t-elle pas de la fracture de l’être, le « comique de l’ombre » ? Nous pourrions objecter comme Hamm dans Fin de partie que « Quelque chose suit son cours », mais quelles sont ces avancées ? Sont-elles réelles ou métaphoriques ?
Le cœur s’échauffe, la voix se veut vivace, le sourire « heureux ». L’homme porte les objets à hauteur de ses yeux : « (Il prend une boîte, l’examine de tout près) »[14] ; « se penche sur les bobines qu’elle contient) » (p. 12) ; « (sort une bobine, l’examine de tout près) » (p. 12). Sa vue défaille, mais il use de subterfuges pour déchiffrer, entrevoir la réalité qui se cache derrière les faits, les objets. Le gosier rafraîchi, le ventre rassasié, la bouche et les mains essuyées, Krapp est en mesure de claquer et de se frotter les mains (p. 11, 12). Les combinaisons de mots, de lettres, d’interjections, de chiffres, de ponctuation se poursuivent inexorablement.
Krapp soulève un pan de son histoire en se penchant sur le registre, en tournant les pages, en déchiffrant les inscriptions, en farfouillant dans les boîtes et en examinant les bobines. Il amorce un retour en arrière dans son vécu. Subordonnées au discours du personnage, les didascalies apportent un nouvel éclairage sur la corporéité de l’humain. Steen Jansen dans son Esquisse d’une théorie de la forme dramatique[15] ne manque pas de souligner la complémentarité entre les répliques et les indications scéniques. Pour le lecteur, les didascalies, du fait de leurs densités, deviennent presque aussi importantes que les paroles du protagoniste. Le personnage nous est présenté sous diverses facettes, il est disséqué sous nos yeux et la voix du dramaturge, par le biais de ce moyen de caractérisation, nous parvient même en écho. L’auteur nous laisse l’impression d’entendre la bande même quand le personnage parle réellement, qu’il ressasse le mot bobine ou qu’il le décline sur plusieurs modes. Le terme résonne à nos oreilles : « bobine… », « bobiiine ! »[16]. Le personnage se dédouble entre passé et présent, est absorbé par la lecture du registre, par l’écoute de la « bobine ccinq » :
Il lève la tête, rêvasse, se penche sur l’appareil, le branche et prend une posture d’écoute, c’est-à-dire le buste incliné en avant, les coudes sur la table, la main en cornet dans la direction de l’appareil, le visage face à la salle. (p. 13)
La bande le replonge « à une époque antérieure », cristallise son attention et engendre une métamorphose au niveau du corps, de l’être. Le « vieil homme avachi » (p. 7) du début, à la « démarche laborieuse » (p. 8), qui « s’en va au fond de la scène dans l’obscurité » « de toute la vitesse dont il est capable » (p. 10,11), adopte un ton vif, a le visage qui s’illumine lorsqu’il est question des bandes sonores. Sa posture d’écoute se veut optimale ; il positionne « la main en cornet dans la direction de l’appareil » (p. 13). Aucune bribe de paroles ne doit lui échapper et au moment où cette phase d’audition est contrariée, le personnage n’est plus reconnaissable :
(En voulant s’installer plus confortablement il fait tomber une des boîtes, jure, débranche l’appareil, balaye violemment boîtes et registre par terre, ramène la bande au point de départ, rebranche l’appareil, reprend sa posture). (p. 13-14)
Le récit à la troisième personne du singulier va se transmuer en représentation scénique. Les mots sont perçus comme des mouvements et entrent en mouvement pour nous permettre d’entrevoir le protagoniste qui se retrouve parfois après quelques pauses et quelques hésitations :
Le nouvel éclairage au-dessus de ma table est une grande amélioration. Avec toute cette obscurité autour de moi je me sens moins seul. (Pause.) En un sens. (Pause.) J’aime à me lever pour y aller faire un tour, puis revenir ici à… (il hésite)… moi. (Pause.) Krapp. (p. 14-15)
Le personnage central est enfin nommé, rattaché à une appellation : « Krapp ». C’est l’homonyme de « crap » qui signifie « merde » en anglais. Il est appelé à se réaliser dans le langage en tant que sujet humain. Il doit sortir du néant et rendre tangible la parole qui le soutient. Son histoire se joue dans un espace restreint, celui de sa « turne » (p. 7) qui équivaut à un espace clos, bien délimité. Cet univers circonscrit s’apparente à la conscience du personnage où se déroule un vibrant spectacle axé sur la lumière, l’obscurité, les sonorités linguistiques, gutturales, les bruits de langue, les vociférations, la voix audible et les silences. Ces divers éléments joutent, occupent une place mouvante au niveau du jeu scénique et dans ce périmètre restreint. La personne et le discours s’articulent dans le nom propre, dans l’espace défini et dans l’esprit du concerné. Krapp doit lutter pour exister ou se raccrocher au sentiment d’avoir existé. En évoquant ce personnage et sa lutte âpre et acharnée, nous pensons au schéma actantiel de Greimas[17] qui organise les rapports de force impliqués dans une action et qui met en scène un sujet, souvent un héros tendant vers un objet. Le sujet est engagé dans l’action par un destinateur qui peut être une personne, un sentiment ou un principe, et s’investit pour un destinataire. Dans sa quête de l’objet, le sujet est aidé par des adjuvants ou combattu par des opposants. Donc Krapp, notre sujet, se résume à un corps, incarné, qui trouve une nouvelle vigueur dans la confrontation entre Krapp et le magnétophone, Krapp et les bobines, entre la voix des Krapp passés et celle du présent. Les voix n’en finissent pas de résonner l’une dans l’autre, de dialoguer et de mêler leurs aigreurs. Le personnage se penche sur le « vieux registre »[18], « lit l’inscription en bas de page » (p. 12), adopte une posture rêveuse, s’interroge à voix haute : « Balle noire ?… », « Hm… Mémorable… quoi ? », « Mémorable équinoxe ?… » (p. 12-13). L’appareil branché nous laisse entendre la « voix forte, un peu solennelle, manifestement celle de Krapp à une époque antérieure » (p. 13). Elle nous esquisse le récit fragmenté de sa rupture amoureuse. Le corps et l’esprit se plient à ce travail d’écoute, d’exhumation, de rêvasseries, de morcellement, de progression ou d’analepse. Le vieillard débranche souvent le magnétophone, ramène la bande au point de départ, rebranche l’appareil, reprend sa posture d’auditeur attentif et critique (p. 13-14, 16-17, 18-19, 20, 21, 23, 24, 26, 27, 28, 31). Le son semble abolir les murailles, les cloisons, le temps et percer toutes les enveloppes existantes.
L’ivresse des sens
La thématique amoureuse du récit nous plonge dans le registre lyrique et dès lors, le personnage central adopte une posture particulière. Ses sens sont en éveil, associés à l’émergence d’autres images corporelles. Des assemblages de plénitude et de viduité s’opèrent, d’être et de non être, de sérénité et de violence, de curiosité et de délectation, de sonorités et de silences, d’ouvertures et de fermetures, de branchements et de débranchements, de présent et de passé, de pénombre et de luminosité.
Les associations déroutantes
Krapp apparaît « au fond de la scène dans l’obscurité » (p. 11) avec un registre, il l’utilise pour se remettre en mémoire des évènements de sa vie. Il tourne des pages, lit des inscriptions, celle « qu’il cherche » ou celle qui se situe « en bas de page » (p. 12). Mais l’écriture ne suffit point à suppléer la faillibilité de la mémoire. Le magnétophone et la bande nous livrent des pans de son passé, de ses souvenirs. En écoutant la bande, ce dernier ne se voit plus comme un vieillard impotent, le dos voûté. Il se projette trente-neuf ans en arrière, rêvasse, se perd dans le film de son existence. Il évoque avec une certaine nostalgie l’amour, les femmes qui ont croisé sa route à un moment donné de son existence. Il s’attarde sur des évocations corporelles féminines, alors que son enveloppe charnelle semble étriquée. Il est limité dans ses mouvements, de par la sphère théâtrale, la sphère spatiale. Le temps ne joue pas en sa faveur, puisqu’il ploie sous le fardeau des ans, néanmoins une confusion s’opère au niveau des signes temporels. Selon Ubersfeld, la représentation est étudiée en tant que forme de codification spécifique du réel, une entité équivalente à une « mise en signes »[19] qu’il importe de décoder selon un code social, culturel, un code psychique et le code narratif actantiel. Toute l’action d’une pièce peut être entrevue comme un investissement ou un désinvestissement d’un certain espace par les personnages principaux. Les personnages de Beckett semblent se soumettre à des assemblages binaires, notamment des espaces clos, ouverts; le haut et le bas; des lieux circulaires ou linéaires; le passé, la présent. Tout personnage doit être représenté intratemporellement, c’est-à-dire qu’il doit occuper une « existence » théâtrale par rapport à la définition accordée au temps dans la pièce ; or dans La dernière bande, Krapp tente, par le biais du magnétophone, d’anéantir ou de gérer à sa guise le temps de l’action représentée. Il se replonge dans son passé, égrène les souvenirs, les ravive ou procède à de nouveaux commentaires. L’appareil, un outil quelque peu anachronique ici, puisque son invention n’est pas antérieure à la période des premiers enregistrements du personnage, ne fait plus office d’aide-mémoire mais d’une machinerie temporelle. Krapp semble découvrir pour la première fois toutes les sensations associées au passé. Les souvenirs et les impressions sont actualisés. Le magnétophone les déverse au présent alors que l’auteur a inscrit dès le début de la pièce dans le futur avec l’indication « d’ici quelque temps »[20]. Nous sommes enrôlés dans une valse des temps. L’écoute des bandes sonores neutralise toute temporalité. Krapp lui-même ne perçoit pas son passé comme étant le sien, mais celui d’un autre. Nous entendons quelques phrases sentencieuses :
Difficile de croire que j’aie jamais été ce petit crétin. Cette voix ! Jésus ! Et ces aspirations ! (Bref rire auquel Krapp se joint.) Et ces résolutions. (Bref rire auquel Krapp se joint.) Boire moins, notamment. (Bref rire de Krapp seul.) (p. 17)
KRAPP. – Viens d’écouter ce pauvre petit crétin pour qui je me prenais il y a trente ans, difficile de croire que j’aie jamais été con à ce point-là. (p. 27)
Un amalgame s’effectue et hormis la bande sonore, le timbre de la voix, le rire de Krapp, celui d’hier ou d’aujourd’hui, abolit les frontières temporelles. Les évocations d’un temps révolu avoisinent les réflexions au présent, au passé, au futur :
Extraordinaire silence ce soir, je tends l’oreille et n’entends pas un souffle. La vieille Miss McGlome chante toujours à cette heure-ci. Mais pas ce soir. Des chansons du temps où elle était jeune fille, dit-elle. Difficile de l’imaginer jeune fille. Merveilleuse vieille cependant Du Connaught, j’ai l’impression. (Pause.) Est-ce que je chanterai quand j’aurai son âge, si jamais j’ai son âge ? Non. (Pause.) Est-ce que je chantais quand j’étais jeune garçon ? Non. (Pause.) Est-ce que j’ai jamais chanté ? Non. (p. 15-16)
Un peu plus loin, la bande nous livre ces fragments où fusionnent encore une fois le passé, le présent et le futur :
BANDE. – en arrière vers l’année écoulée, avec peut-être – je l’espère – quelque chose de mon vieux regard à venir […]. (p. 19)
L’esprit réalise de prodigieuses enjambées dans le temps en amalgamant les diverses séquences, mais il y exerce de plus une emprise délibérée car Krapp s’arroge le droit de suspendre le moment de l’écoute, de s’interroger sur ses souvenirs :
Mémorable… quoi ? (Il regarde de plus près, lit.) Equinoxe, mémorable équinoxe. (Il lève la tête, regarde dans le vide devant lui. Intrigué.) Mémorable équinoxe ?… (Pause. Il hausse les épaules, se penche de nouveau sur le registre […]. (p. 12-13)
Krapp farfouille dans ses souvenirs à partir de points temporels et spatiaux. Comme Winnie dans Oh les beaux jours, des réminiscences affluent, remontent des profondeurs, à l’évocation d’un mot, d’un nom, par exemple. Ce long processus est mis en scène par la posture du protagoniste, ses hésitations, une ponctuation suspensive, interrogative, les interjections, les mots interrogatifs ou les onomatopées : « … Hm… La balle noire… […]. Balle noire ?… » ; « … Hm… mémorable… quoi ? […] Equinoxe, mémorable équinoxe. […] Mémorable équinoxe ?… » (p. 12-13) ; « cette mémorable nuit de mars » (p. 22). Ces éléments visent à signifier la tonalité de la voix, le rythme d’énonciation en vue de la représentation théâtrale. Tout un monde s’orchestre autour de certaines résurgences. Les rapprochements opérés peuvent se révéler parfois surprenants. Des thématiques se veulent récurrentes, celles de la « balle noire » (p. 12, 14, 21, 22), d’une éventuelle amélioration : « Légère amélioration intestinale… » (p. 12); « Le nouvel éclairage au-dessus de ma table est une grande amélioration » (p. 14). Il est également question de la mort avec ces indications teintées d’euphémismes : « Maman en paix enfin » (p. 12) ; « […] quand toute ma poussière sera retombée » (p. 15) ; « […] maman s’éteignait, dans l’automne finissant, après une longue viduité » (p. 19) ; « […] en prévision du jour où mon labeur sera… (il hésite)… éteint » (p. 20) ; « En paix bientôt tout va dormir » (p. 30). La mort est rattachée au facteur du temps, à une saison, à la terre, au silence, à l’obscurité.
Les souvenirs se déploient donc à partir d’une sonorité, d’un schème ou d’un objet fixe. Krapp dans La dernière bande et en terminant l’écoute de sa bande, « Boîte – (pause) – trois, bobine – (pause) – cinq » (p. 32-33) s’achemine vers la fin de sa vie. L’emploi de l’adverbe « enfin » semble vouloir attester que le son est parvenu à percer l’enveloppe corporelle des individus. Il s’est engouffré et a creusé l’être de l’intérieur et de l’extérieur, le taraudant pour précipiter sa chute : la mère « en paix enfin » (p. 12) ; une vie commune avec « Bianca dans Kedar Street, enfin par à-coups » ; ses yeux « revus tout à coup », « Enfin… » (p. 16) ; « une jeune beauté brune […] (Pause.) Enfin… » (p. 21) ; une « vision, enfin » (p. 22) ; une éventualité quant à un choix : « Enfin, peut-être qu’il avait raison » (p. 28). Ce qui vient d’être énoncé, pensé, peut toujours être reconsidéré. Les termes qui composent l’adverbe « en fin », laissent entrevoir des notions de localisation et de temporalité, cet espace-temps qui permet à l’homme d’exister, de se mouvoir et qui le circonscrit de toutes parts. Nous sommes à la fin d’un évènement. Il s’agit probablement des derniers moments d’une vie. Mais nous sommes en droit de nous interroger sur la réalisation de l’attente. Krapp évoquant la mort de la mère, les questions fusent dès lors. Est-ce un soulagement pour elle, un soulagement pour lui, qu’elle soit soulagée ou qu’il en soit soulagé ? Toutes les hypothèses sont envisageables.
Beckett, par l’entremise de son personnage, propose un regard physique sur le monde. Krapp, « très myope », ne porte pas de lunettes, mais il voit et il entend avec les mots, se plonge dans son monde. Les images surgissent dans son esprit. Krapp ferme à plusieurs reprises les yeux dans la pièce ; « ses lèvres remuent sans bruit » (p. 19) ; il débranche l’appareil, fait avancer ou ramène la bande en arrière, rebranche le magnétophone. Des évènements antérieurs se matérialisent devant ses pauvres restes d’yeux de chair. Le temps, en ennemi insatiable, mange la vie, selon la formule de Charles Baudelaire dans le poème « L’ennemi »[21]. Que reste-t-il à Krapp pour rivaliser, pour ne pas être happé par l’immatérialité, pour ne pas sombrer dans le chaos existentiel ?
Le renversement des sens
Krapp, au début de la pièce, sort « une grosse banane » du deuxième tiroir de la table disposée à l’avant-scène, au centre. Au lieu de la déguster tout de suite, il se lance dans tout un rituel, comme s’il s’agissait d’intensifier, de prolonger un instant de plaisir, de faire chavirer tous ses sens :
l’examine de tout près, referme le tiroir à clef, remet les clefs dans sa poche. Il se retourne, s’avance jusqu’au bord de la scène, s’arrête, caresse la banane, l’épluche, laisse tomber la peau à ses pieds, met le bout de la banane dans sa bouche et demeure immobile, regardant dans le vide devant lui. Finalement il croque le bout de la banane, se détourne et se met à aller et venir au bord de la scène […] tout en mastiquant méditativement la banane.[22]
Il se livre au même jeu avec une seconde, en mange un bout et met le reste « dans une poche de son gilet d’où le bout émergera » (p. 10). Il « s’en va au fond de la scène dans l’obscurité » (p. 11). Frénétique, il s’agite, se sustente de bananes, s’abreuve d’une liqueur. On entend le « bruit de bouchon qu’on tire » ; il « s’essuie la bouche, s’essuie les mains à son gilet, les claque et les frotte » (p. 11). Il adopte un ton vif, un « sourire heureux » et prononce le mot « Bobine » avec une certaine « délectation » (p. 11, 12). « Il lève la tête, rêvasse », s’attarde aux yeux de l’être aimé. Dans certains passages, il s’arrête aux yeux, en l’occurrence lorsqu’il évoque un amour révolu. Krapp se livre à un jeu de miroir entre le présent, le passé, entre la vie et le néant. Il est question d’une vision soudaine, d’« un hommage », de «sinistres exhumations », mais ce discours s’amalgame à un sentiment d’extase, de suspension dans le temps au travers de la rêverie :
Pas grand’ chose sur elle, à part un hommage à ses yeux. Enthousiaste. Je les ai revus tout à coup. (Pause.) Sinistres ces exhumations, mais je les trouve souvent – (Krapp débranche l’appareil, rêvasse, rebranche l’appareil) – utiles avant de me lancer dans un nouveau… (il hésite) … retour en arrière. (p. 16-17)
Contre toute attente, le personnage ne se porte point en avant. Sa vue est limitée à des contingences matérielles ou immatérielles, à un amour révolu. Cette phase de réécoute constitue son seul lien avec la vie. L’individu sait qu’il ne peut exister que s’il revient à un stade antérieur de sa vie, « quand il y avait encore une chance de bonheur » (p. 33). Il est celui qui répète inexorablement « Sois de nouveau, sois de nouveau » (p. 30-31). Il porte une attention toute particulière à la matière corporelle féminine, notamment à ce qu’elle a de plus charnel et semble en être sous les charmes. Les adjectifs qualificatifs se multiplient, la ponctuation s’enchaîne et le rythme se veut presque haletant aux regards des émotions suscitées :
Je me rappelle surtout une jeune beauté brune, toute blancheur et amidon, une poitrine incomparable […]. Chaque fois que je regardais dans sa direction elle avait les yeux sur moi. […] Le visage qu’elle avait ! Les yeux ! Comme des… (il hésite)… chrysolithes ! (Pause.) (p. 21)
Les évocations se poursuivent et propulsent le personnage dans la sphère narrative sensuelle. Le corps permet à l’homme de se situer dans le monde et de s’inscrire dans des pratiques sociaux-culturelles : l’expression de l’amour. Une fusion s’effectue et permet de « tomber dans l’autre » confusément ou tout doucement :
J’ai remarqué une égratignure sur sa cuisse et lui ai demandé comment elle se l’était faite. En cueillant des groseilles à maquereau, m’a-t-elle répondu. […] Je lui ai demandé de ma regarder et après quelques instants elle l’a fait, mais les yeux comme des fentes à cause du soleil. Je me suis penché sur elle pour qu’ils soient dans l’ombre et ils se sont ouverts. (Pause.) M’ont laissé entrer. (Pause.) Nous dérivions parmi les roseaux et la barque s’est coincée. […] Je me suis coulé sur elle, mon visage dans ses seins et ma main sur elle. (p. 25)
Krapp n’affiche plus une mine déconfite, un air « avachi » ou une « démarche laborieuse » (p. 7, 8) comme au début de la pièce. Tout au long de la dramaturgie, le personnage subit quelques métamorphoses. Il s’active en se lançant dans des allées et venues sur le devant de la scène ; Beckett précise qu’il « s’en va au fond de la scène dans l’obscurité », « de toute la vitesse dont il est capable » (p. 10, 11). Etant à l’écoute de la bande et
en voulant s’installer plus confortablement il fait tomber une des boîtes, jure, débranche l’appareil, balaye violemment boîtes et registre par terre, ramène la bande au point de départ, rebranche l’appareil, reprend sa posture. (p. 13-14)
Krapp est mû par une nouvelle énergie, ses forces se décuplent puisqu’il s’emporte, peste, met un terme au fonctionnement du magnétophone, le rebranche et positionne la bande au point souhaité. Nous assistons à des phénomènes de rupture verbale et stylistique accentués par le corps, par un geste. Les yeux du personnage se ferment à l’écoute de la bande (p. 15) ou il la ponctue de rires brefs, voire prolongés (p. 17, 18). Son personnage s’étoffe, affiche un regain d’énergie ; il lit sans lunettes, « rêvasse », abandonne son poste d’auditeur pour se retirer « au fond de la scène dans l’obscurité » (p. 18). Le « bruit de bouchon qu’on tire » et la « bribe soudaine de chant chevrotant » (p. 18) nous laisse supposer que Krapp se délecte d’alcool. Il s’affranchit dès lors des normes et se démultiplie à l’infini. Il veut se raccrocher au temps et en garder une certaine notion ou maîtrise en regardant sa montre (p. 18), sans avoir à se déconnecter de sa réalité, à savoir l’existence incontestable de la bande et l’évocation de ses souvenirs antérieurs. Krapp, enrôlé dans la spirale des réminiscences, se laisse griser par une boisson alcoolique. Sa voix, élément moteur de son lyrisme au moment où il lit le registre, se trouve altérée. Le personnage s’affranchit de toutes les limites en optant pour un chant chevrotant :
KRAPP (chantant).
L’ombre descend de nos montagnes,
L’azur du ciel va se ternir,
Le bruit se tait – (p. 18)
Samuel Beckett ne nous propose pas une progression linéaire. La chanson et son système de refrain s’inscrivent dans une boucle scandée par un chanteur. La Dernière bande s’organise davantage sur le mode d’une composition circulaire où s’enchâssent de manière complexe les gestes et les paroles réitérées du personnage. Sitôt énoncée, la ritournelle sonore disparaît. La chanson est suivie par un « accès de toux » (p. 18), comme s’il s’agissait de neutraliser le personnage trop exubérant ou vindicatif, mais Krapp en revenant « dans la lumière » (p. 18) traduit son désir de poursuivre l’écoute de la bande. L’écriture, la phase d’audition deviennent pathologiques, l’interpellent. Hormis l’écoute, les commentaires, les rires, le chant, l’attention du vieil homme est attirée par certains mots. Il répète ses propos et s’interroge, somme toute, sur la capacité des mots à représenter le réel :
Resté assis devant le feu, les yeux fermés, à séparer le grain de la balle. (…) Le grain, voyons, je me demande ce que j’entends par là, j’entends … (p. 16, 17)
Les personnages de Beckett ont souvent le sentiment d’employer une langue confuse pour eux-mêmes, voire incompréhensible pour les autres. Dans Tous ceux qui tombent, le langage devient sclérosé et l’humain se démène avec les signes linguistiques. « Tu sais, Maddy [dit Monsieur Rooney à sa femme] on dirait quelquefois que tu te bats avec une langue morte ». Hamm et Clov ne sont pas en reste. Ils s’interrogent sur les mots qu’ils emploient. Clov lance à l’intention de Hamm : « J’emploie les mots que tu m’as appris ; s’ils ne veulent plus rien dire, apprends-m’en d’autres. Ou laisse-moi me taire »[23]. Krapp revient sur ce qu’il a été énoncé précédemment et tente de comprendre, d’ajuster au mieux sa pensée. La répétition instaure une forme de dialogue entre le personnage et sa propre parole, mais elle reflète également l’ambiguïté du langage. Elle est source de malentendus ou le verbe de Krapp peut être assimilé à un concept purement égocentrique, c’est-à-dire un verbiage propre à l’enfant, sans visée communicationnelle. La pièce met en exergue divers monologues axés sur des moments cruciaux de la vie du personnage. Il répète « avec délectation » le mot « bobine » :
Bobine… (il se penche sur le registre)… ccinq… (il se penche sur les bobines)… ccinq… ccinq… ah ! petite fripouille ! (Il sort une bobine, l´examine de tout près.) Bobine ccinq. (Il la pose sur la table, referme la boîte trois, la remet avec les autres, reprend la bobine.) Boîte trrois, bobine ccinq. (Il se penche sur l´appareil, lève la tête. Avec délectation.) Bobiiine ![24]
Les allitérations en « b », telles que « bobine », « boniche brune » ou encore en « v » : « veuf… veuf… veuvage… », visent à déjouer les stéréotypes des normes communicationnelles en présentant un langage a priori irréfléchi et absurde. Des expressions figées ou proverbiales donnent lieu à des reformulations. Ainsi « solide comme un roc » devient dans la bouche de Krapp « solide comme un pont » (p. 14). L’homme est interpellé par le mot « viduité » (p. 19). Accoutumé à regarder « dans le vide devant lui » (p. 19), ce dernier cette fois-ci s’anime davantage, s’interroge une fois de plus sur la pertinence du langage :
Ses lèvres remuent sans bruit en formant les syllabes de viduité. Il se lève, s’en va au fond de la scène dans l’obscurité, revient avec un énorme dictionnaire, s’asseoit le pose sur la table et cherche le mot. (p. 19)
Nous sommes confrontés à un exercice de lexicologie. Krapp prend connaissance du sens du mot, le lit de manière audible, se montre intrigué et en obtenant de plus amples informations, « (Il lève la tête. Avec délectation) » il énonce « L’oiseau veuve ! » (p. 20).
Beckett dans sa pièce semble jouer avec les mots. Son personnage découvre ou redécouvre des expressions, nous livre quelques indications pour lever le mystère et nous sommes contraints de suivre ses pistes, d’interagir avec le protagoniste pour accéder aux différentes interprétations de la pièce et nous délecter en même temps que lui de ses trouvailles. Le vieil homme met en lumière une « mémorable nuit de mars » (p. 22). C’est en effet à ce moment que le jeune Krapp décida de se consacrer à la littérature :
… cette mémorable nuit de mars, au bout de la jetée, dans la rafale, je n’oublierai jamais, où tout m’est devenu clair. La vision, enfin. Voilà j’imagine ce que j’ai surtout à enregistrer ce soir, en prévision du jour où mon labeur sera… (il hésite)… éteint et où je n’aurai peut-être plus aucun souvenir, ni bon ni mauvais, du miracle qui… (il hésite)… du feu qui l’avait embrasé. Ce que soudain j’ai vu alors, c’était que la croyance qui avait guidé toute ma vie, – (Krapp débranche l’appareil, fait avancer la bande, rebranche l’appareil) (p. 22-23)
Mais le vieux Krapp semble ne pas vouloir en entendre reparler, il débranche, et cette « lumière de l’entendement », ce « feu » (p. 23) soudain révélés ne seront finalement pas dévoilés de manière explicite dans la pièce. Le personnage fait preuve d’impatience, avance la bande, jure également. Ce qu’il cherche à atteindre est un peu plus en avant sur la bande. Le «labeur » dont il est question, c’est celui de l’écriture. Krapp est un écrivain dont la vente des livres ne fut pas mirobolante. Il se livre à un piètre décompte des livres vendus :
Dix-sept exemplaires de vendus, dont onze au prix de gros à des bibliothèques municipales d’au-delà les mers. En passe d’être quelqu’un. (Pause.) Une livre, six shillings et quelques pence, huit probablement (p. 28-29)
Ce « feu » non révélé est occulté par l’ « adieu à l’amour ». Le mot est coupé en deux : « Adieu à l’a… (il tourne la page) … mour » (p. 13). Il faut tourner la page pour pouvoir prendre connaissance de la suite du terme, mais en dépit de l’aspect anecdotique, cet adieu restera finalement l’élément fondamental dans la vie du personnage. Cet épisode amoureux nous est narré avec emphase et romantisme. Nous assistons à un instant de bonheur, les derniers moments d’une histoire d’amour se déroulant sur une barque :
– le haut du lac, avec la barque, nagé près de la rive, puis poussé la barque au large et laissé aller à la dérive. Elle était couchée sur les planches du fond, les mains sous la tête et les yeux fermés. […] Je me suis coulé sur elle, mon visage dans ses seins et ma main sur elle. Nous restions là, couchés, sans remuer. Mais, sous nous, tout remuait, et nous remuait, doucement, de haut en bas, et d’un côté à l’autre.
Pause. Passé minuit. Jamais entendu pareil silence. La terre pourrait être inhabitée. (p. 25-26, 24)
Krapp écoute à trois reprises ce passage, et lorsqu’il débranche l’appareil, rêvasse et le rebranche, il ne reprend jamais son histoire au même endroit que précédemment. Le branchement effectué à nouveau, on a l’impression d’être confronté à une autre image, à d’autres détails. La mémoire se lance presque dans une phase de reconstruction, composant avec le temps, la nostalgie d’un temps révolu et l’immanence de la mort. Ce moment d’extase lié à la perception et à l’environnement du personnage se révèle être un instant unique et déterminant pour le reste de sa vie. Krapp se plie volontiers à l’ivresse de ses sens, comme s’il s’agissait pour lui de renverser les tendances, de s’affranchir de normes ou d’espérer une certaine forme de reconnaissance ou une planche salutaire tout simplement. L’œil et l’oreille permettent au personnage de rester en relation avec le monde, de ne pas se vider complètement, mais d’esquisser sporadiquement quelques soubresauts. Bernard Noël faisait judicieusement remarquer que « Le regard fait le lien et invente la continuité du monde et en même temps que celle du je »[25]. Un lien se crée entre l’œil et l’esprit et permet au personnage beckettien de se transcender, de sortir de son marasme, de s’animer quelque peu, quitte à donner pendant quelque temps l’illusion d’exister. Le toucher devient alors prédominant et permet doublement au protagoniste d’exister, de ne plus être l’ombre de lui-même, un fantoche chimérique.
Krapp valse-t-il entre la nécessité de l’amour et la nécessité de l’écriture ? Cela peut occasionner une certaine tension. Krapp finit d’écouter la bande une dernière fois, entend à nouveau le moment de bonheur, ses lèvres remuent sans bruit. L’enregistrement se termine, dans un état catatonique, il regarde dans le vide devant lui, « la bande continue à se dérouler en silence »[26].
Ses meilleures années sont-elles irrémédiablement loin derrière lui ou l’individu peut-il encore espérer une ivresse de son corps et/ ou de son être, tant que le magnétophone et la bande lui servent d’adjuvants ?
Dans la dernière bande, le personnage de Krapp paraît des plus symptomatiques. Vidé de son être, il se lance dans un va-et-vient incessant entre le passé, le présent et le futur, mais également sur la sphère scénique un peu plus réduite. Il se rattache à tous les éléments environnants (la table, la chaise, les tiroirs, les clefs, les bananes, la bouteille, les bobines, le magnétophone) qui lui donnent l’impression d’exister. Il émet cette surprenante déclaration : (« J’aime à me lever pour y aller faire un tour, puis revenir ici à…[…] moi. ») L’identification de soi n’est pas facile. Elle suppose du temps pour l’introspection, pour la recherche de soi-même.
Le discours énoncé sur la bande est fragmenté, interrompu à de multiples reprises et nous fournit néanmoins bon nombre d’informations. Si Antonin Artaud dénonçait toute forme de redite, Samuel Beckett, lui, fait de la réitération un procédé majeur de La Dernière bande. Krapp remplit le vide de son être, de son non-être. En réécoutant des fragments de sa vie, il semble revivre, se cristallise sur les différentes parties de son corps, de celui de l’être aimé. Le corps s’inscrit dans une double perspective : la présence et l’absence, la plénitude et le néant, la mobilité ou l’immobilisme. L’espace se redéfinit, se déploie. Les temps et les pauses s’enchaînent pour tromper l’humain, voire le spectateur-lecteur, pour rappeler la rotation de la terre, des éléments cosmiques, du cycle de la vie et de la représentation théâtrale. Le corps se donne à lire, à voir, à entendre et à interpréter dans un espace unique et pluriel entre ivresse et déréliction.
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Mylène Danglades
POUR CITER CET ARTICLE Mylène Danglades, « L’ivresse du corps et de l’être dans La dernière bande de Samuel Beckett », Nouvelle Fribourg, n. 1, juin 2015. URL : https://www.nouvelle-fribourg.com/archives/livresse-du- corps-et-de-letre-dans-la-derniere-bande-de-samuel-beckett/
NOTES
1 René Descartes, Meditationes de prima philosophia, dans Œuvres, Editions Adam et Tannery, 1973, t. VII, p. 18-19.
2 Samuel Beckett, La dernière bande, Paris, Les Éditions de Minuit, 1959, p. 84.
3 Paul Valéry, Œuvres, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 569.
4 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la Perception, Paris, Gallimard, 1945, p. 101, 114, 231.
5 Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et L’Esprit, Paris, Gallimard, 1960.
6 Lidia Cotea, À la lisière de l’absence, Paris, L'Harmattan, coll. « Espaces Littéraires », 2013.
7 Sigmund Freud, Pulsions et destins des pulsions (1915), Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2010.
8 Samuel Beckett, La Dernière bande, Op. cit., p. 7.
9 Platon, Œuvres complètes. Théétète, édition de L. Robin, Paris, Belles Lettres (CUF), 1970, 156e.
10 Samuel Beckett, La Dernière bande, Op. cit., p. 11.
11 Georges Godin, Michael La Chance, Beckett : entre le refus de l’art et le parcours mystique, Pantin, Le Castor Astral, 1994, p. 57.
12 Samuel Beckett, La Dernière bande, Op. cit., p. 10.
13 Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982.
14 Samuel Beckett, La Dernière bande, Op. cit., p. 11.
15 Steen Jansen, Esquisse d’une théorie de la forme dramatique, Copenhague, Etudes romanes de l'Université de Copenhague, Akademisk Forlag, 1976, p. 76.
16 Samuel Beckett, La Dernière bande, Op. cit., p. 11, 12.
17 Algirdas Julien Greimas, Sémantique structurale : recherche et méthode, Paris, Larousse, 1966.
18 Samuel Beckett, La Dernière bande, Op. cit., p. 11.
19 Anne Ubersfeld, Lire le théâtre, Paris, Éditions sociales, 1977.
20 Samuel Beckett, La Dernière bande, Op. cit., p. 7.
21 Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Paris, Editions Poulet-Malassis et de Broise, 1861.
22 Samuel Beckett, La Dernière bande, Op. cit., p. 9.
23 Samuel Beckett, Fin de partie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1957, p. 62.
24 Samuel Beckett, La Dernière bande, Op. cit., p. 12.
25 Bernard Noel, Le journal du regard, Paris, POL, 1988, p. 68.
26 Samuel Beckett, La Dernière bande, Op. cit., p. 33.